La ligne des glaces

Emmanuel Ruben

Informations générales

316 pages
Editions Payot et Rivages
2014

Biographie de l’auteur

Né le 16 novembre 1980 à Lyon. Enfance et adolescence campagnardes. Désir très vif d’écrire (bandes dessinées, romans policiers, nouvelles, poèmes, pièces de théâtre). Études supérieures à Lyon de 1998 à 2004 (Hypokhâgne, khâgne, École Normale Supérieure) puis à Paris de 2006 à 2010 (master 2 de géographie à la Sorbonne et licence de russe à l’Inalco). Entre-temps, nombreux séjours à l’étranger au gré des études, des recherches universitaires, des affectations, sur les traces de mes lectures, à rebours de mes premières rêveries : Italie (École normale supérieure de Pise), États-Unis (lecteur de français à Washington University, Saint-Louis, Missouri), Turquie (Institut français d’études anatoliennes, Istanbul), Pays baltes (Volontaire international à l’ambassade française de Lettonie, Riga), Europe centrale, Ukraine, Russie.
Agrégé de géographie (2004), je commence en 2007 une thèse de géographie vite abandonnée, la vie de chercheur étant peu conciliable avec celle d’écrivain. Depuis la parution de mon premier roman en 2010, j’enseigne l’histoire et la géographie dans un lycée du Val d’Oise et consacre tout mon temps libre à l’écriture et au dessin, que je pratique en parallèle.

Présentation de l’éditeur

Un jeune diplomate en herbe, Samuel Vidouble, est envoyé dans un mystérieux pays de la Baltique orientale, dont il ignore tout. Dès son arrivée à l’ambassade de France, on lui confie la tâche de le cartographier en vue de proposer une délimitation de ses frontières maritimes. Au fil des voyages, des trouvailles, des rencontres et des déconvenues – guidé par Lothar Kalters, un ami linguiste, et par Néva, une jeune fille ensorcelante -, il comprend que cette mission est impossible et s’en désintéresse peu à peu, gagné par une mélancolie que ne fait qu’aviver l’hiver.

Cette exploration romanesque, aussi audacieuse que singulière, des confins de l’Europe nous offre dans un style très imagé une satire troublante de la diplomatie, avec son lot d’intrigues géopolitiques, ainsi que de très beaux tableaux sur les ruines et les tragédies de l’Histoire. À travers les discussions entre les personnages surgissent de belles pages qui nous donnent à voir le véritable objet de ce récit personnel et ambitieux : une interrogation sur les lisières mouvantes du réel et de l’imaginaire.

Extraits
 « Dans ce qui est écrit ci-dessus, je mêle sans cesse le vrai et le faux, je transpose, j’avance masqué, j’invente encore. Mais on ne peut inventer sans limites. Cela, je l’ai découvert le jour où j’ai rencontré Véra Zefer. Le jour où je me suis retrouvé face à la parole, devant l’histoire, en situation et dans la disposition d’écouter pour de bon un témoignage. Je veux parler d’un témoignage de survivant, puisqu’il n’y a de témoignage que de survivant. Qui n’a pas frôlé la mort, qui n’a pas touché le point de non-retour, qui n’a pas eu la révélation qu’il fallait vivre à tout prix, ou survivre, ou revivre, ou ressusciter, remonter à la vie, ne témoigne pas. Il raconte, invente, imagine, brode, tricote, bavarde, comme je l’ai fait jusqu’ici. Véra Zefer ne se contentait pas de raconter son histoire, elle traçait la frontière entre les histoires et l’Histoire, ce qu’elle avait vécu ne se pouvait en aucun cas romancer, ne rentrait pas dans un roman, ne cadrait pas; ma vie était romanesque, futile, insouciante; la sienne ne l’était pas; j’arpentais les tours et les détours d’un pays imaginaire, je vivotais dans les dédales de mon sous-sol intime; elle avait survécu dans les sous-sols de l’Histoire. Une vie à peine croyable, une suite de hasards qui lui avait valu de tomber dans des mains charitables et d’être sauvée des eaux. En écoutant Véra Zefer, je me souvenais d’une phrase de Lothar qui aimait répéter que la géographie peut être imaginaire, l’histoire ne l’est jamais. Là se situe la faille de toutes les utopies, disait Lothar (…) on ne prémunira jamais les utopies de l’éternel retour du chaos, de l’omniprésence de la catastrophe. A la marge de chaque utopie, disait Lothar, il y a toujours un goulag ou un ghetto qui nous guette. »

« C’est alors que se reflète sur les murs vitrés d’un grand magasin l’image diffractée d’un clocher baroque, haut, très haut, torve ou vrillé. Je pousse la porte d’un café, me dirige vers le comptoir, me renseigne en anglais, on me répond d’abord que nobody speaks english here, mais un homme taillé comme un bûcheron, cheveux hirsutes et grande barbe blonde, nez de boxeur, se détache de la foule, s’approche et m’apprend, en brandissant son grand index noueux et velu qu’il s’agit du clocher de la cathédrale Saint-Pierre, Saint-Peter, dit-il, like in Rome, like the Vatican, clocher reconnaissable entre tous – la vieille ville en est tout hérissée, de clochers ! – justement parce qu’il est vrillé, because of the war, you know, because they bombed the bell-tower during the war… Mais c’était il y a plus de soixante ans ! Songeur, les bras ballants, j’erre au hasard. Cette petite capitale européenne, avec ses vitrines où l’on peut entre deux absolutions – et en toute transparence – déguisé moitié en tchékiste, moitié en SS -, lâcher un peu de lest contre une poignée d’euros, ce serait un musée des horreurs du siècle dernier ? Et le murmure étranglé des gens dans cette ville ! Silence, marmonnements, chuchotis – leur idiome ? Et cette manière ensommeillée, mécanique, de leurs gestes ! »

Critiques
« La ligne des glaces définit la frontière où les molécules simples se condensent. Une ligne qui se situe bien après le soleil. Plus prosaïquement, dans la mer baltique où les eaux gèlent pendant trois longs mois, la ligne des glaces fait office de frontière aussi translucide que mouvante. Tout près de cette ligne du partage des eaux, dans un mystérieux pays du nord de l’Europe, un jeune diplomate, Samuel Vidouble, est envoyé. Sa tâche à l’ambassade de France sera de rédiger un mémorandum et de cartographier, pixel par pixel, les frontières maritimes du pays car celui-ci veut entrer dans l’Europe. La littérature est un assaut contre les frontières, nous disent en cœur Kafka et Emmanuel Ruben.
Première étape romanesque d’une suite européenne et nordique, 
La ligne des glaces est un roman d’aventures et d’explorations intérieures, aux confins du soi et de l’Europe, celle construite sur les ruines de l’Histoire. Histoire personnelle, histoire universelle, et histoire politique, tout s’entremêle dans ce roman de géographie imaginaire. »  Catherine Fattebert, RTS, 04/06/2014