Confiteor

Jaume Cabré

Informations générales

784 pages
Traduit du catalan par Edmond Raillard
Actes Sud
Septembre 2013

Biographie de l’auteur

Né à Barcelone en 1947, Jaume Cabré est l’un des écrivains catalans les plus reconnus par la critique et les lecteurs, récompensé par le prix d’honneur des Lettres catalanes en 2010.
Licencié en philologie catalane à l’Université de Barcelone, professeur certifié en dispense d’activité et enseignant à l’Université de Lleida, l’auteur a combiné pendant de nombreuses années l’enseignement et l’écriture (romans, essais, pièces de théâtre, scénarii…).

En 2013, son roman Confiteor a reçu le Prix Courrier international du meilleur roman étranger.

Présentation de l’éditeur

Barcelone années cinquante, le jeune Adrià grandit dans un vaste appartement ombreux, entre un père qui veut faire de lui un humaniste polyglotte et une mère qui le destine à une carrière de violoniste virtuose. Brillant, solitaire et docile, le garçon essaie de satisfaire au mieux les ambitions démesurées dont il est dépositaire, jusqu’au jour où il entrevoit la provenance douteuse de la fortune familiale, issue d’un magasin d’antiquités extorquées sans vergogne. Un demi-siècle plus tard, juste avant que sa mémoire ne l’abandonne, Adrià tente de mettre en forme l’histoire familiale dont un violon d’exception, une médaille et un linge de table souillé constituent les tragiques emblèmes. De fait, la révélation progressive ressaisit la funeste histoire européenne et plonge ses racines aux sources du mal. De l’Inquisition à la dictature espagnole et à l’Allemagne nazie, d’Anvers à la Cité du Vatican, vies et destins se répondent pour converger vers Auschwitz-Birkenau, épicentre de l’abjection totale.

Confiteor défie les lois de la narration pour ordonner un chaos magistral et emplir de musique une cathédrale profane. Sara, la femme tant aimée, est la destinataire de cet immense récit relayé par Bernat, l’ami envié et envieux dont la présence éclaire jusqu’à l’instant où s’anéantit toute conscience. Alors le lecteur peut embrasser l’itinéraire d’un enfant sans amour, puis l’affliction d’un adulte sans dieu, aux prises avec le Mal souverain qui, à travers les siècles, dépose en chacun la possibilité de l’inhumain – à quoi répond ici la soif de beauté, de connaissance et de pardon, seuls viatiques, peut-être, pour récuser si peu que ce soit l’enfer sur la terre.

Extraits

« Ce n’est qu’hier soir, alors que je marchais dans les rues trempées de Vallcarca, que j’ai compris que naître dans cette famille avait été une erreur impardonnable. Tout à coup, j’ai vu clairement que j’avais toujours été seul, que je n’avais jamais pu compter sur mes parents ni sur un Dieu à qui confier la recherche de solutions, même si, au fur et à mesure que je grandissais, j’avais pris l’habitude de faire assumer par des croyances imprécises et des lectures très variées le poids de ma pensée et la responsabilité de mes actes. Hier, mardi soir, en revenant de chez Dalmau, tout en recevant l’averse, je suis arrivé à la conclusion que cette charge m’incombe à moi seul. Et que mes succès et mes erreurs sont de ma responsabilité, de ma seule responsabilité. Il m’a fallu soixante ans pour voir ça. J’espère que tu me comprendras et que tu sauras voir que je me sens désemparé, seul, et que tu me manques absolument. Malgré la distance qui nous sépare, tu me sers d’exemple. Malgré la panique, je n’accepte plus de planche pour me maintenir à flot. Malgré certaines insinuations, je demeure sans croyances, sans prêtres, sans codes consensuels, pour m’aplanir le terrain vers je ne sais où. Je me sens vieux et la dame à la faux m’invite à la suivre. Je vois qu’elle a bougé le fou noir et qu’elle m’invite d’un geste courtois, à poursuivre la partie. Elle sait que je n’ai pas beaucoup de pions. Malgré tout, ce n’est pas encore le lendemain et je regarde quelle pièce je peux jouer. Je suis seul devant le papier, ma dernière chance. »

p.13

« – Je suis devenu collectionneur. Il précisa : Je suis collectionneur.

– Collectionneur de quoi ?

– Collectionneur. – Il ouvrit les bras comme saint Dominique quand il prêchait en chaire : Je cherche de belles choses.

Le père Morlin avait des informations, et comment. S’il y avait une personne au monde capable de tout savoir presque sans bouger de Santa Sabina, c’était le père Félix Morlin, ami de ses amis et, à ce qu’on disait, dangereux pour ceux qui le délaissaient. Ardevole était un ami, si bien qu’ils ne tardèrent guère à tomber d’accord. Auparavant, Fèlix d’Ardèvol dut supporter un sermon sur l’époque troublée que nous devons vivre et que personne ne souhaite, et pour ne pas décevoir son ami il soulignait ses paroles d’un tu as bien raison, et si on les observait de loin ils avaient l’air de débiter les prières du rosaire. Et l’époque troublée que vivait l’Europe commençait à obliger bien des gens à regarder du côté de l’Amérique et, grâce au père Morlin, Fèlix Ardèvol passa quelques mois à voyager à travers l’Europe avant l’incendie, tâchant de sauver les meubles d’un probable tremblement de terre. Le premier contact, ce fut au Tiefer Graben, dans l’Innere Stadt de Vienne. C’était une très jolie maison, pas très large mais certainement très profonde. Il appuya sur la sonnette et sourit d’un air avenant à la dame qui lui avait ouvert la porte avec un brin de méfiance. Au cours de ce premier contact, il put acheter tout le mobilier de la maison et, après avoir mis de côté les cinq objets qui avaient le plus de valeur, il revendit le reste le double de ce qu’il avait payé, sans quitter Vienne, presque sans franchir le Ring. Un succès aussi spectaculaire aurait pu le griser, mais Fèlix Ardèvol était un homme non seulement intelligent mais astucieux. Par conséquent, il agit avec prudence. A Nuremberg, il acheta une collection de tableaux du dix-septième et du dix-huitième siècle : deux Fragonard, un Watteau évanescent et trois Rigaud. Et j’imagine, le Mignon aux gardénias jaunes, qu’il sépara du reste. C’est à Pontegradella, près de Ferrare, qu’il eut pour la première fois entre les mains un instrument de musique de valeur. C’était une viole faite par Nicola Galliano, de Naples. Tandis qu’il se demandait s’il devait l’acheter, il regretta même de ne pas avoir appris à jouer ce genre d’instruments. […] Un Galliano. Le signor Arrau lui dit que, bien que les instruments ne fussent pas sa spécialité, il conjecturait qu’il pourrait en tirer trois fois plus s’il faisait courir discrètement le bruit et s’il n’était pas pressé de vendre. Et que s’il voulait, il lui présenterait un compatriote, le signor Berenguer, un jeune talent qui avait appris à faire des estimations avec une précision extraordinaire et qui, lorsque la guerre d’Espagne serait finie, car il faudrait bien qu’elle finisse un jour ou l’autre, avait l’intention de rentrer chez lui. »

p.247-248

Critiques

« A la manière d’un Outremonde de Don DeLillo à la sauce européenne, Confiteor est une admirable méditation morale et métaphysique, une géniale nébuleuse d’histoires qui fait s’entrecroiser un nombre sidérant d’intrigues à travers de l’espace et le temps..  » Baptiste Liger, Lire

« Confiteor, le livre qui intimide mais dont on ne sort pas. Un livre organisé à la perfection sous les couches du temps… Confiteor est un roman sournois, intelligent, on en sort effaré d’avoir connu, une fois dans sa vie, une telle expérience de lecture…  »  Pierre Maury, Le Soir

« Une cathédrale ? Mieux, une symphonie, aussi chaotique que fluide, aussi barbare que sophistiquée, aussi intelligente que sensuelle. Avec Confiteor, autrement dit « j’avoue », le catalan Jaume Cabré signe avec cette lettre d’aveu de 800 pages, le roman monstre de la rentrée.  »

Christophe Ono-dit-Biot, Le Point

« Au lecteur si respecté, tutoyé, vouvoyé ou télépathiquement invoqué, dont la concentration est requise et récompensée à chaque instant : pour se permettre de passer avec une telle dextérité (au sein même d’une seule phrase, parfois !) d’une époque à l’autre, d’un récit à l’autre, il faut une complicité littéraire forte avec les yeux qui vous parcourent, et Jaume Cabré la crée sans tapage, faisant jaillir en soi ce qu’il y a de plus lumineux et de plus perspicace…. Une belle définition de Confiteor, roman inépuisable de presque huit cents pages, qui donne l’enivrante impression, comme le confesse son héros à la fin de sa vie, de n’avoir pas dit la moitié de ce qu’il avait en tête.  »
Marine Landrot, Télérama, 07/09/2013